REVISTA TRIPLOV
de Artes, Religiões e Ciências


nova série | número 30 | agosto | 2012

 
 

 

 

 

RICHARD KHAITZINE

Raymond Roussel -

La marche du fou… littéraire

                                                                  
 

EDITOR | TRIPLOV

 
ISSN 2182-147X  
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Dir. Maria Estela Guedes  
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«La vie de Raymond Roussel a toujours été
secrète ; elle n’a jamais été mystérieuse ».

François Caradec, Vie de Raymond Roussel

« Le « Comment cacher quelque chose… » prêté
par Jean Ferry à Roussel appelle inévitablement
un « pourquoi faut-il le cacher ? » Question qui,
en ce qui ce qui concerne le secret alchimique, par
exemple, provoque un silence absolu. »

André Breton, Fronton virage, 1948
Introduction à Une étude sur Raymond Roussel
de Jean Ferry.
 

 

 

Entre l’affirmation péremptoire de François Caradec et le questionnement du « Pape du Surréalisme » se situe toute la problématique roussélienne. Existe-t-il ou non un mystère Roussel ? Et si oui, de quelle nature fut-il ? À défaut de pouvoir trancher à l’aide d’une réponse lapidaire, [1] laquelle risquerait de nous masquer l’essentiel, force est de constater que son œuvre singulière recèle nombre de curiosités, d’originalités poétiques, d’énigmes qui sont, encore aujourd’hui, autant de questions demeurées sans réponses. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de pénétrer par effraction – y compris à l’aide d’une ingénieuse machine à lire Roussel – dans ce jardin secret au sein duquel l’émerveillement le dispute à l’étonnement, nous laissant sans voix – comme l’auteur à un moment de sa vie – incapable de proférer un son et ne pouvant émettre, ainsi qu’il l’écrivit lui-même qu’ « un pauvre O d’aphone » un O muet. Ce « O muet », en y appliquant son « procédé », qu’il a si bien décrit, il convient, non pas de le lire, mais de l’entendre comme étant un O mué, susceptible d’évoluer. [2]Tout ceci est bien mystérieux. Si cela peut vous rassurer, et pour paraphraser Georges Perec, qui fut un admirateur inconditionnel de Roussel, cela « va aller s’obscurcissant »… À moins d’avoir recours à l’éclairage et aux outils adéquats. 

 

  Quelques clés destinées à ouvrir les serrures hermétiquement closes
 

 

   L’exégèse littéraire montre ses limites dès lors qu’elle se trouve confrontée à des textes ne répondant plus aux codes de lecture imposés par la mode, ou par un enseignement officiel, dont les exercices aux barres fixes ne provoquent que de douloureuses courbatures morales, ainsi que le souligna Irène Hillel Erlanger,[3] au sein de son étonnant roman dadaïste : Voyages en kaléidoscope. Telle est d’ailleurs la raison qui fit que la Critique  vit uniquement dans La vie mode d’emploi, la Disparition, et même 53 jours, trois formidables romans écrits par Perec en s’astreignant à des contraintes drastiques. Mais, personne ne semble s’être avisé, qu’au-delà de l’exercice de style, ces « fictions », en filigrane, évoquent un seul et unique sujet… Raymond Roussel, son œuvre et son secret. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes, chez cet amateur de littérature populaire, que d’avoir admiré l’auteur le plus abscons et le plus obscur de tous.

  Vouloir pénétrer la pensée,  de l’un comme de l’autre, armés des outils classiques de l’exégèse, est non seulement dérisoire, mais de surcroît stupide. Une semblable démarche équivaut à s’attaquer à un coffre-fort sophistiqué avec une lime à ongle. Encore qu’une autre sorte de lime puisse se montrer utile, celle que prétendait « ronger » Gérard de Nerval, et qu’évoqua, avant lui l’aimable Jean de La Fontaine. [4] C’est, naturellement, le moment de se souvenir que Roussel jugeait criminel de donner à lire les livres de Jules Verne, comme les fables de La Fontaine, à des enfants. Ce jugement peut paraître excessif ; il l’est nettement moins  quand on lit ces écrits d’un œil plus acéré, en ouvrant grand les yeux. C’est d’ailleurs le conseil donné par Jules Verne dans Michel Strogoff –  et placé en exergue dans La Vie Mode d’Emploi par Georges Perec –, lequel est une invitation à ne pas perdre le fil de son récit, un fil matérialisé par celui – télégraphique – qui a été coupé entre Moscou et Irkourtsk.

« Regarde de tous tes yeux, regarde » lit-on, alors qu’une lame rougie présentée devant les yeux du héros va lui faire perdre la vue. On peut, naturellement, voir dans cette séquence uniquement un rappel du rite maçonnique dit « d’aveuglement ». Mais une telle explication serait un peu courte.

  Si, comme l’écrivit Roussel, dans L’Âme de Victor Hugo son « âme (était) une étrange usine », à n’en pas douter, celle de Georges Perec fut un jubilatoire terrain de jeu. Qui sait écouter, découvre chez ces deux auteurs – si socialement différents – un point commun, un goût prononcé et amusé pour les non-dits, les confidences incongrues. Un exemple, pris parmi tant d’autres chez Perec, m’amuse toujours énormément. J’imagine la tête de son interlocuteur lorsqu’il lui confia que son roman, La Disparition, « était pleine de e », alors que ce texte, manifestement, n’en comporte aucun puisque reposant sur l’art du lipogramme et, en l’occurrence, le non-emploi de cette voyelle. Or ladite voyelle, si elle est absente au niveau de l’impression, est omniprésente si l’on s’avise que le chiffre 5, écrit ou fortement suggéré, représente le rang de cette lettre dans notre alphabet. Certaines des confidences distillées par Roussel furent encore plus surprenantes. Ainsi, il affirma, le plus sérieusement du monde, que son « cerveau (était) double ». Souhaitait-il attirer l’attention sur un collaborateur resté dans l’ombre ? Sans doute. D’ailleurs, le 1.8.1933, après son décès, Bernard Lelou écrivit dans Paris-Midi : « Avec l’âge, le cerveau de Raymond Roussel devint quadruple. Du moins l’auteur nous l’affirme ». Michel Georges-Michel, dans Aux Écoutes, le 29.7.1933, avait ouvert la voie à ce que François Caradec considérait comme des élucubrations : « Il prétendait avoir quatre cerveaux ». Gâté par Dame Nature, ou gâteux précoce ? Ni l’un  ni l’autre ! Ce qui pourrait passer pour une élucubration, au sens strictement littéral,  s’avérait être une plaisanterie au sens figuré. Il s’agissait simplement d’attirer l’attention de ses lecteurs potentiels sur  la portée réelle de son œuvre. À ses débuts, un mentor lui avait tenu la main, ou plutôt la plume,[5] l’incitant à créer une œuvre déconcertante, mais ô combien plus surprenante quand lue à un niveau moins superficiel. Les années passant, cette collaboration s’enrichit et trois autres écrivains vinrent y adjoindre leur talentueuse participation, « tramant » leurs écrits à partir d’un canevas unique. Mais ne brûlons pas les étapes. [6] 

   Chez Roussel, tout mérite d’être examiné à la loupe, la moindre ligne, le moindre propos et jusqu’à ses faits et gestes. Hélas, et personne n’en disconviendra, si on lit un écrivain, rares sont ceux qui vont jusqu’à l’écouter !

  Pour Roussel, le monde était une vaste scène qu’il agença selon son bon plaisir, jusqu’à ce qu’il devienne roussélien. Même sa mort fut scrupuleusement préméditée, orchestrée, selon un schéma, connu de lui seul, mais dont il s’évertua à nous laisser deviner l’extrême logique. Pourquoi acheta-t-il une concession en face du Mur des Fédérés ? On aura du mal à nous faire croire que ce choix fut dicté à ce milliardaire afin d’honorer la Commune. Pourquoi, après avoir prévu initialement 30 cases, opta-t-il pour un caveau de 32 ? Pourquoi s’en alla-t-il mourir au mois de juillet, en Sicile, et au Grand Hôtel et des Palmes où avait résidé Richard Wagner ? Tous ces pourquoi – et la liste des questions n’est pas exhaustive – appellent des réponses qui convergent toutes vers un pôle unique, dont André Breton et Jean Ferry ont seulement pressenti l’existence, alors que Perec – sans doute suite à des confidences de François Le Lionnais, de Marcel Duchamp, ou d’un autre –  l’avait parfaitement identifié. Il n’était pas le seul. 

  Dans Fronton virage, Breton fut le premier à avoir pressenti que les écrits de Roussel véhiculaient d’étranges réminiscences émanant d’un ouvrage traitant d’alchimie. Le mot honni de ceux qui règnent en maîtres absolus sur le politiquement correct littéraire vient d’être lâché et, à lui seul, il suffit à expliquer le silence obstiné qui enveloppe ce texte. Sur 10 pages d’un écrit qui en compte 24, Breton cite 14 fois Les Demeures philosophales, un ouvrage d’hermétisme, publié en 1930 chez Schemit et signé d’un pseudonyme : Fulcanelli. Breton le rattache directement à certains passages de La Poussière de Soleils, de Roussel, et disserte sur La langue des oiseaux, le code cryptographique des « alchimistes » y voyant la source du procédé littéraire dont l’auteur de Locus solus revendiquait la paternité. Délire de Surréaliste ou prescience géniale ? André Breton avait de nombreux travers, qui le rendaient insupportable, mais on ne peut lui dénier une inlassable curiosité, alliée à une grande culture.

  Dans le numéro spécial de la revue Bizarre, consacré à Raymond Roussel (1964), Jean Ferry, évoquant le Cahier G.LM., de mars 1939, note bizarrement : «  Il est d’une évidence indiscutable pour qui sait lire Fulcanelli et connaît tant soit peu d’hébreu, graphie sans voyelles, que cette racine trilitère G.L.M., occulte, à peine, le mystérieux embryon des profondeurs, ou… Golem ».[7]

  Quelques auteurs, plus récemment, eurent le courage d’emprunter cette piste « ésotérique », soigneusement évitée par les Gens des Belles Lettres qui semblent craindre de se salir au contact d’un terrain réputé boueux. Parmi ces auteurs, il y eut bien sûr Philippe Kerbellec, [8] qui rapprochait le procédé de cryptographie roussélien de la langue des oiseaux, sans la moindre ambigüité. Un second auteur, même s’il se montra moins disert, fit généreusement quelques confidences destinées à faire avancer le problème. Ce confrère, érudit et discret, signa d’un pseudonyme un ouvrage au sein duquel il établissait un lien direct entre l’œuvre de Roussel et La vie mode d’emploi. [9]  

    À l’usage de ceux que cette manie d’user d’un pseudonyme pourrait agacer, je signale qu’Alain Fournier – l’auteur du Grand Meaulne – nota dans Chroniques et critiques, à la date du 7 octobre 1910 : « Pseudonymes. On sait que M. Remy de Gourmont, candidat à l'académie Goncourt, représentera, chez les Dix, le roman, la poésie, le théâtre, la critique, la philosophie, la sociologie et divers autres genres littéraires. Mais on ignore généralement qu'il doit représenter aussi plusieurs personnalités mystérieuses. Citons, entre autres, Jules Delassus, qui signa Incubes et Succubes ; Dréxelius et Mlle Lucile Dubois... Ce sont les pseudonymes les moins connus de l'auteur du Livre des Masques ». Cette information fut reprise par André Gide dans une lettre à Jacques Rivière. Ce dernier était le beau-frère d’Alain Fournier dont il avait épousé la sœur, Isabelle. Ce Jules Delassus, fut-il celui qui appartint au cénacle alchimique de Douai constitué par Jollivet-Castelot ? C’est probable.

  Or le nom de Remy Gourmont reste associé à celui de l’Amazone, l’américaine Natalie Clifford Barney laquelle tenait un salon artistique en son Temple de l’Amitié de la rue Jacob, à Paris. Une amusante carte dessinée par André Rouveyre mentionne les habitués. Parmi les noms – difficilement lisibles – on peut néanmoins relever ceux de : O.V. Milosz – poète lituanien dont les préoccupations étaient similaires à celles de Roussel. Tous deux étaient nés en 1877 et fréquentèrent le même lycée, à savoir Janson de Sailly –, Van Dongen, né lui aussi en 1877, et qui dessina un curieux « thermo-maître » pour le livre précité de Madame Erlanger. Pêle-mêle, on y découvre, également les noms suivants : Marcel Proust, Rainer Maria Rilke, Francis de Miomandre, Henri Barbusse, Honegger, Rodin, Salomon de Reinach, Paul Géraldy, le délicieux poète, auteur du célèbre Toi et moi et qui consacra un poème au Temple de l’Amitié, Vallette (fondateur du Mercure de France), Edouard Herriot, Darius Milhaud, André Gide, Blaise Cendrars, Léon-Paul Fargue,  Jules Supervielle, Claudel, Jean Cocteau, Elisabeth de Gramont, Anatole France, Fernand Divoire, Isodora Duncan,  Robert de Montesquiou (proche de Raymond Roussel), Schwaller, Drieu la Rochelle – Une séquence du film adapté de son roman Le feu follet, et interprété par Jeanne Moreau et Maurice Ronet, fut tournée dans les jardins du Temple de l’Amitié – Paul Louis Couchoud (lié à Anatole France) – Benda ( sans doute Julien, le cousin de Pauline, romancière et comédienne, dite Madame Simone, épouse de Casimir-Perier et avec qui Alain Fournier eut une aventure –, Edouard Dujardin – qui soutint Raymond Roussel et fut en relation avec toute l’intelligentsia de l’époque. En une dédicace, datée de 1923, Dujardin se dit l’ami et l’admirateur de Raymond Roussel.

  Les papiers personnels de Dujardin, détenus aux U.S.A., permettent de prendre connaissance de la liste de ses correspondants, notamment : Natalie Clifford Barney, Raymond Roussel et sa mère Marguerite, mais également Maurice Leblanc et son beau-frère René Renoult, Ministre des cultes et de la justice, Willy – admirateur inconditionnel de Roussel – et son épouse Colette. On y découvre une multitude d’autres personnalités, toutes aussi intéressantes.

  Deux séries de noms s’avèrent surprenantes : Milosz, Schwaller, Georges Lamy, premier époux d’Isha Schwaller, Carlos Larronde, Pierre Mille, Georges Polti et, à un autre niveau : Félix Rossignol dit Victorin Joncières, Léon Champrenaud et René Schwaeblé. Décidemment, les alcôves, les salons artistiques de l’époque et les loges maçonniques, ont bien des confidences à nous faire. [10] Concernant la première série de noms, elle regroupe la majeure partie des membres du cercle intérieur d’une association créée par René Schwaller, sous le nom des Veilleurs ou Frères d’Élie. Or Schwaller – ainsi qu’il le révéla en 1960, dans un courrier – avait initié Milosz à l’alchimie et ce fut la raison pour laquelle ce dernier lui concéda son titre de Lubicsz. Ce qui se sait moins, c’est qu’une autre figure intéressante était membre de ce Cercle dont le siège se situait rue Raynouard, à l’emplacement du présent Musée de Balzac, un élève de Jean Léon Gérôme : [11]Jean Julien Champagne, né lui aussi en 1877, et auteur des dessins qui ornaient les deux livres signés Fulcanelli. [12] Quant aux trois autres noms, il sera expliqué pourquoi il est surprenant de les retrouver dans la liste des correspondants de Dujardin. Dans l’immédiat, il me faut expliquer quelle fut la genèse des ouvrages signés Fulcanelli.

 

  Les dessous de la dernière des grandes énigmes littéraires
 

 

  L’éditeur de la rue Laffitte confia que le premier manuscrit lui fut apporté par le peintre Jean-Julien Champagne, accompagné d’un jeune homme : Eugène Canseliet. En plus de ces deux hommes, il y aurait eu une troisième concernée par le projet : Pierre Dujols. Ce dernier était un personnage tout à fait passionnant. Il s’agissait d’un libraire érudit qui avait repris la Librairie du merveilleux où se pressaient le Tout-Paris artistique et le milieu ésotérique, l’un se confondant, parfois, avec l’autre, pour le meilleur et pour le pire. De son véritable état civil, le libraire se nommait Pierre Dujols de Valois. Sa famille s’était retrouvée au centre d’un étrange imbroglio historique. En 1879, Antoine, le fils aîné avait fait publier une plaquette Valois contre Bourbons, simples éclaircissement avec pièces justificatives par un descendant des Valois, laquelle réfutait les prétentions du comte de Chambord. L’affaire est des plus simples, même si ignorée parce qu’occultée par les manuels historiques. Le quatrième fils de Catherine de Médicis et d’Henri II ne mourut pas sans héritier. En 1575, il avait épousé, en Espagne, Jeanne Adélaïde Duchesse de Médina Coeli. De cette union fut issue une longue lignée d’héritiers mâles qui aboutit à Antoine et Pierre Dujols. Bien que légitime, ce mariage n’était pas autorisé et cela  suffisait pour exclure ses fruits de la succession royale. [13]

  Pierre Dujols mourut en 1926, l’année même de la parution du Mystère des cathédrales, Champagne décéda en 1932, deux ans à peine après la sortie des Demeures philosophales. Seul survivant, Eugène Canseliet s’occupa de pérenniser les deux ouvrages et de tisser la légende. Année, après année il les augmente de préfaces, distillant des confidences concernant celui qu’il appelle « Mon Maître » et dont il se prétendra le seul élève et l’unique disciple. Eugène Canseliet fait republier les deux textes aux éditions de l’Omnium littéraire, puis chez Pauvert, publiant chez cet éditeur ses propres livres. Au fil de ses confidences, il distille un certain nombre d’informations concernant « Fulcanelli » et son entourage – Les De Lesseps, Viollet-le-Duc, Grasset d’Orcet, Paul Painlevé, Pierre Curie, Anatole France, Milosz etc. Si ces relations supposées se recoupent parfois, le conditionnel s’impose concernant certains des noms avancés. Il est important de savoir qu’Eugène Canseliet nia toujours farouchement avoir été l’auteur des livres et qu’il se contenta de mettre des notes en ordre et de procéder à la rédaction et ce entre 1916 et 1922. L’examen des ouvrages dément cette version, le style simple du rédacteur se situant aux antipodes du style maniéré de Monsieur Canseliet. En outre, la majeure partie des citations bibliographiques concernent des livres édités antérieurement à 1910. En revanche on relève un certain nombre d’interpolations tardives. Néanmoins une déclaration d’Eugène Canseliet mérite d’être prise en compte. Dans son ouvrage, Deux Logis alchimiques, on lit ce passage qui ne laisse pas de surprendre :

   «  Ce jour-là, en échange, nous ne dissimulâmes pas, à l’auteur de Nadja, qu’au nombre des diverses gens, toujours de haute qualité, que nous voyions auprès du Maître, avenue Montaigne, [14] ce fut Raymond Roussel qui nous impressionna le plus.

  Cela de telle sorte que nous paraissait très déplacé, que notre vieux Julien Champagne put appeler « la classe », cet homme distingué. Il est vrai que tous deux étaient du même contingent de 1877, et que « Monsieur Roussel », passionné du moteur à explosion, avait beaucoup d’estime pour le dessinateur de Fulcanelli et de Bertrand de Lesseps. Il y avait aussi qu’avec le fils aîné de Ferdinand, Champagne restait l’inventeur du traîneau à hélice que Raymond Roussel admirait avenue Montaigne, et que, d’ailleurs, il fit photographier ». Une photo du traîneau en question est publiée en hors-texte ; elle est précédée du portrait d’une jeune femme qui servit de modèle à Champagne. Elle figure nue, sortant d’un matras, et arborant une étoile au front – ce qui n’est pas sans évoquer le titre d’une pièce de Roussel – sur une planche visible, elle aussi, dans le livre de Monsieur Canseliet. Cette Dame, censée avoir fréquentée chez Irène Hillel Erlanger, ne fut autre qu’Henriette Roggers, une comédienne, épouse de Claude Farrère, et  qui, selon ce que confia André Breton à Eugène Canseliet, ne laissa pas indifférent Eugène Grindel, Paul Éluard de son nom de plume. Natalie Clifford Barney, adepte de Lesbos, la poursuivit de ses assiduités jusqu’à Saint-Pétersbourg. L’Amazone en avait entraîné bien d’autres dans son lit, sans que cela nécessitât un tel marathon : la belle Lucie, l’épouse de Jésus-Christ Mardrus, Marie Pauline Tarn, poétesse publiée chez Alphonse Lemerre comme Roussel, et Colette qui lui en voulut à mort de « l’avoir prise en passant ».

   L’anecdote du traîneau est authentique, pour étonnant que cela puisse sembler aux historiens. Champagne y travailla effectivement avec Bertrand de Lesseps, lequel fut tué sur le front, en 1918. Un second cliché fut pris par J.H. Lartigue, lors des essais qui eurent lieu à Chamonix, en 1914. Un extrait du texte des souvenirs du photographe précise : « Cette photographie a été prise sur les instructions de Lartigue par M. Folletête (surnommé Plitt), le secrétaire particulier de son père. Le conducteur était Bertrand de Lesseps, fils du célèbre ingénieur Ferdinand de Lesseps, constructeur du canal de Suez. Ce dernier venait de faire l’objet d’un retentissant scandale en France, quand sa société, créée pour financer et construire le canal de Panama, fit faillite au beau milieu de rumeurs d’incompétence et de fraude. Ferdinand fut jugé, déclaré coupable et condamné à la prison mais ne purgea pas sa peine, et il est généralement admis de nos jours qu’il ne fut au pire coupable que de négligence financière. Son fils Bertrand était un personnage non moins intéressant, dévoué corps et âme à l’alchimie et se consacrant entièrement à la recherche de la Pierre Philosophale censée pourvoir transmuter les métaux vils en or. Il n’est pas dit s’il la trouva jamais, mais dans l’intervalle, il entreprit une tache moins ambitieuse, celle de construire un traîneau propulsé par une hélice ». Voilà de quoi faire taire les sceptiques ! Ce traîneau fut vendu au Tsar de Russie, selon ce qu’indiquait un catalogue Nadar.

 
  Deux textes en quête d’auteur
 

 

   Du vivant d’Eugène Canseliet, comme après sa mort, les hypothèses les plus folles furent émises quant à l’identité de l’auteur du Mystère… et des Demeures… Les noms suivants furent envisagés : Canseliet, Champagne, Rosny aîné, Camille Flammarion, Jules Violle, Massillon Rouvet, Dujols, Pierre de Lesseps, et quelques autres, sans que rien ne puisse étayer ces propositions.

  La clé de cette énigme historico-hermético- littéraire réside dans l’œuvre de Raymond Roussel et explique du même coup le caractère étrange de son œuvre. Au sein de son livre testament – Comment j’ai écrit certains de mes livres, Roussel fit insérer des textes de « grande jeunesse », rédigés entre 1900 et 1907. Deux d’entre eux mentionnent un personnage qu’il désigne sous le nom, transparent, de Volcan. En effet,  et contrairement à ce qu’allégua E. Canseliet, Fulcanelli n’a jamais signifié « le Vulcain ou le Volcan du soleil ». En réalité, ce pseudonyme fut forgé sur un à-peu-près phonétique « Vulcain et Hellé », pour des raisons ayant trait aux fondements de l’art hermétique. Ces notions techniques étant trop longues à rapporter dans le cadre de cet article, je m’en tiendrai à l’essentiel. [15]

  Au sein de l’un de ces textes, Roussel évoque un personnage distrait, et pour tout dire lunaire ou lunatique. Il écrit «  Un beau jour, la manie des sciences m’ayant repris, j’étais allé sonner au petit rez-de-chaussée de Volcan, dont les anciennes leçons m’avaient laissé un souvenir de grande clarté… »[16] Ceci expliquerait deux détails biographiques demeurés obscures. En 1922, Roussel déposa un brevet concernant « l’utilisation du vide à la non-déperdition de la chaleur pour tout ce qui concerne l’habitation et la locomotion ». Lorsqu’il fut contraint de vendre sa « campagne » du boulevard Richard Wallace, il redouta que le bâtiment – construit dans le garage – et utilisé aux fins d’expérimentations sur le vide – ne cause une explosion en cas de démolition. On ne peut s’empêcher de trouver ces recherches étranges de la part d’un homme dont sa maîtresse de façade Charlotte Dufrène disait « qu’il était incapable d’ouvrir une bouteille de vin » !

  Mais qui put être ce « professeur de sciences » duquel Roussel tira des leçons dépassant l’enseignement conventionnel ? Quand on souhaite trouver une aiguille, il vaut mieux la chercher dans un nécessaire de couture que dans une meule de foin.

   Dans son Alchimie expliquée sur ses textes classiques (p. 36), livre publié en 1972, Eugène Canseliet révèle que le peintre Jean-Julien Champagne, «  fut au service de Fulcanelli dès la dixième année du siècle, c’est-à-dire tout juste un lustre avant que nous reçûmes notre place auprès du philosophe…. » Or, ceci est en contradiction avec la préface (1962) à la troisième édition   du Mystère des cathédrales : « … l’excellent artiste qui connut Fulcanelli en 1905, dix années avant que nous reçussions le même privilège inestimable… » Curieuse confusion ! À moins qu’il ne soit agi de faire oublier la date de 1905, une date qui constitue la clé la plus sûre permettant d’ouvrir « l’armoire aux secrets »…Ceci est d’autant plus certain qu’en une autre occasion « l’élève et l’unique disciple » ainsi qu’il se qualifiait, reviendra sur cette date en y rattachant un événement – propice à s’interroger – et qui fit beaucoup de bruit. Ce fut dans l’édition, de 1979, de Deux Logis alchimiques qu’Eugène Canseliet mentionna le nom d’Alphonse Jobert, un personnage bien mystérieux, aussi évanescent que le fluide lunaire dont le pseudonyme « Fulcanelli » se voulait la traduction.

 

  Où le dicton « quand le silence est d’or » se vérifie de manière inattendue.
 

 

   Le 15 septembre 1905, le journaliste et écrivain libertaire André Ibels fit paraître une interview de l’homme en question dans la revue Je sais tout, laquelle appartenait à Pierre Lafitte. L’article était titré Les faiseurs d’or. Jobert y parle abondamment d’alchimie, tape tout aussi abondamment sur les « officiels, [17] se vante de pouvoir produire suffisamment d’or pour éteindre la dette de la France, avant de raconter une très curieuse anecdote, dont il fut vraisemblablement le malheureux héros. Selon ce qu’il rapporta à Ibels, un alchimiste naïf s’en alla vendre sa production d’or à la Monnaie de Paris – 76 kilos en l’occurrence. L’or fut saisi et l’alchimiste renvoyé les mains vides, après s’être entendu signifier «  qu’il n’avait pas le droit de savoir pouvoir faire de l’or ».  La première réaction consiste à se dire qu’il s’agit d’une histoire à dormir debout. Soit ! Mais comment ne pas se poser des questions en prenant connaissance de l’hypotypose (commentaire) de Pierre Dujols que ce dernier fit figurer en préface du Mutus liber, en 1914 ? On y lit : « De tous temps, il y eut des faiseurs d’or (…) Et même de nos jours, la transmutation opère encore des miracles. À la suite de débats sensationnels et peu distants, on a laissé dire –  et au milieu de quelle stupeur – que l’Administration de la Monnaie aurait saisi, sans autre forme de procès – et pour cause ! – la production d’un alchimiste contemporain : — « Vous ne devez pas savoir pouvoir faire de l’or ! » lui dit-on d’un air comminatoire, en le renvoyant les mains libres, mais vides. Est-il donc défendu d’être savant, ou alors l’alchimie serait-elle un secret d’État ? »

  La même anecdote narrée par deux personnes différentes – surtout lorsqu’elle se trouve reliée par l’expression les faiseurs d’or, soulignée en italiques chez Dujols – cela commence à inciter à se montrer curieux. Si l’Administration demeure muette, et se contente de démentir, on découvre sous la plume de Roussel un singulier non-dit qui pourrait bien corroborer ce fait divers incroyable. En effet, Roussel, expliquant son « procédé littéraire », dans le Comment…, prend comme exemple de métagramme les phrases suivantes :

-         A jet continu

-         A geai Conti nu

Il prétend ne plus se souvenir des associations d’idées qui lui inspirèrent ce métagramme.[18] Toutefois, il se garde bien de nous livrer une troisième possibilité phonétique:

-         A.J. Conti nu.

Ce qui se traduit par: A(lphonse) J (obert) s’est rendu au quai Conti et est reparti nu (délesté). L’Hôtel de la Monnaie est situé, justement au quai Conti ! Cette crise d’amnésie est à rapprocher également du O muet ou « sans son » ou « point son » dérivant en « poinçon »… celui apposé par l’État sur la production officielle d’or, et qui fut fortement suggéré par Roussel. On notera que, dans le Comment…, les fastidieuses explications données par Roussel afin d’expliquer « son procédé », et où il livre toujours deux acceptions pour les mots cités en exemple, il fait l’impasse sur un troisième sens aboutissant, le plus souvent à «  job air » ou à « job ère », voire à « job aire »… Concernant le procédé amplifié, nous savons que Roussel reliait deux mots par la préposition à. En appliquant ses directives au texte – parfaitement rédhibitoire – intitulé La Vue, nous y gagnons un autre nom. Roussel y décrit, avec une belle constance, et une surabondance de détails, la vision qu’offre l’image incluse derrière la loupe d’un porte-plume à système. Cet exercice, nécessitant de fermer un œil afin de viser, le procédé invite à le traduire par « la vue (à) clin », dont l’anagramme dévoile : vulcaneli, ce qui constitue un à-peu-près phonétique plus que satisfaisant. [19]

  On constate, d’ores et déjà, que Breton pourrait bien avoir vu juste au sein de son Fronton virage et que « l’œuvre de Raymond Roussel demande à être réexaminée de fond en comble ».

  Concernant Joncières, Champrenaud et Schwaeblé, dont les noms figurent parmi les correspondants d’Édouard Dujardin, voici ce qu’il faut savoir. René Schwaeblé fut l’élève d’Alphonse Jobert, ainsi qu’il le raconte dans un roman autobiographique, intitulé La Divine Magie (1918) ; ce fut avant que gagné au catholicisme il rejoigne J.K. Huysmans. Quant au compositeur d’opéras, Joncières (Félix Rossignol) il assista à une transmutation opéré par Jobert (vers 1900) tout comme Champrenaud, dit Abdul Haqq, qui fut directeur du journal La Voie, l’organe de presse de la Gnose française. Nous reviendrons sur ces points, au sein d’un futur article, d’autant que Jobert, aux dires d’Ibels, eut l’occasion de réaliser une transmutation devant d’autres témoins dont un célèbre chirurgien de l’Hôpital Saint-Louis. On comprend déjà, pourquoi l’illustrateur des « Fulcanelli », Champagne, rencontra « son Maître » en 1905. Il ne pouvait le manquer, puisque Jobert se trouvait placé sous les projecteurs de l’actualité.

   
 

Pierre Dujols de Valois

Eugène Canseliet

Jean-Julien Champagne

   
 
 

Le traîneau à hélice fabriqué par Bertrand de Lesseps et Champagne

   
 

 

Le traîneau lors des essais, à Chamonix, en 1914

   
 

 

Le Docteur Alphonse Jobert

  Conclusion
 

   S’il n’a pas été fourni de réponses à certaines questions, c’est qu’elles nécessitent des commentaires qui auraient alourdi considérablement un texte déjà fort dense et constituant un os substantifique à ronger, puis à digérer. D’autant qu’il nous faudra résoudre, également, d’autres énigmes. Par exemple, pourquoi Roussel éprouva-t-il le besoin de faire figurer, au sein de Locus solus, une course, pour le moins incongrue, d’hippocampes ? Ne serait-ce pas pour une raison similaire à celle qui fit que Perec, dans La vie mode d’emploi, nomma le premier propriétaire de l’immeuble de la rue Simon Crubellier : Gratiolet, du nom du physiologiste ayant travaillé sur l’ergot de Morand ou «  petit hippocampe » ?[20] Il nous faudra, également, expliquer pourquoi Roussel renonça à utiliser des encres de couleur afin de faire imprimer les Nouvelles Impressions d’Afrique et, surtout à quoi rimaient les travaux d’Hercule qu’il s’infligea en rédigeant un texte fragmenté par des parenthèses multiples ?  

   Dans un premier temps, les hypothèses et les renseignements, livrés dans cet article, sont parfaitement vérifiables, du moins dans leur majeure partie. Je ne doute pas que cette approche bouleverse quelque peu la vision classique et étriquée que possèdent les professionnels de la littérature en matière d’exégèse. À moins d’être d’une absolue mauvaise foi, il leur faudra se demander si certains outils sont encore aptes à faire sérieusement avancer leur connaissance de la littérature. On peut comprendre qu’ils se sentent frustrés en constatant, après avoir ouvert des cénotaphes, qu’ils prenaient pour des tombes, que ces derniers ne contiennent aucun corps. Mais ne s’agit-il pas de la nature même de ces monuments ?

  Je suis parfaitement conscient du fait que ce texte peut se montrer déstabilisant, ne serait-ce que parce qu’il malmène des certitudes bien trop ancrées pour être extirpées sans douleur. Néanmoins, depuis la parution du premier tome de La langue des oiseaux, j’ai pu constater que l’ouvrage a fait son chemin et n’a pas laissé indifférents ceux qui s’intéressent à la question roussélienne, en particulier un cercle de jeunes artistes dont les professeurs avaient baigné dans la mouvance post-surréaliste et recueilli des confidences de Marcel Duchamp. Ce dernier n’a-t-il pas confié que son Grand verre ou La Mariée mise à nu par ses célibataires même était redevable à Raymond Roussel ? Ceci est à rapprocher de ce que Jean Suquet en disait : «  il (Marcel Duchamp) travaillait à un "grand œuvre," aujourd'hui au musée de Philadelphie ». Peut-on être plus direct ?

   Enfin, il me semble utile de rapporter ce qu’écrivait l’écrivain anglais, G.K Chesterton, dans l'un de ses essais. Il fut intrigué au point de se demander si Gaston Leroux n’était pas l’autre nom de plume de Maurice Leblanc. «Il y aurait, disait-il, une intéressante symétrie dans cette inversion des noms par laquelle  le gentleman rouge écrit des histoires de détective et le gentleman blanc des histoires d’aigrefin.» Sans le savoir, Chesterton venait de mettre le doigt sur la plus extravagante des opérations littéraires et ceci même si son interrogation n’était pas fondée.

  En 1977, un exégète sagace – il en existait encore à cette époque – François Rivière, dans sa préface aux Mohicans de Babel, roman de Gaston Leroux, cita cette remarque de Chesterton. Mais plus étonnant, il ajoutait à propos du Mystère de la chambre jaune, toujours de Gaston Leroux: «…un jeu de mots proprement roussélien préside à cette mise au monde historique: «serpent à sonnette» et «cordon à sonnette» donnent la clef de l’énigme de ce chef-d’œuvre du récit criminel de chambre close. Les petites phrases de Leroux ont beaucoup intrigué les Surréalistes, et déclenché leur admiration totale. « Le presbytère n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat» fut emprunté à George Sand à un mot près – ce qui change tout. Poésie pure ou sublime astuce de cet homme pressé du roman populaire qui se mua souvent, comme son confrère Lerouge (Gustave), en teinturier malicieux des mots pour faire accréditer les phrases les plus délirantes de son alchimie fiction…»

  Ces rapprochements sont-ils assez perturbants ?

 

Paris, le 27 mars 2009

Richard Khaitzine

 

 

[1]. L’emploi du mot « lapidaire », est ici parfaitement adapté, puisqu’il est susceptible de diverses acceptions : concis, pierres précieuses, voire celui qui taille les pierres. Or nous savons que le « procédé » littéraire revendiqué par Roussel se fonde justement sur l’emploi de mots pris dans des acceptions différentes.

[2]. La première gravure de Robur le Conquérant, de Jules Verne montre un rond barré d’un télescope. Sur ce O rayé, dérivant en oreiller, ou en taie sur l’œil ou cataracte, terme qui mène à « chutes d’eau », puis à « chut ! », voir, de Richard Khaitzine, La langue des oiseaux (éditions Dervy poche)

[3]. Née en 1878 et décédée en 1920, un an après la sortie de son livre. Elle fut l’épouse de Camille Erlanger, le musicien, la mère de Philippe, l’historien fondateur du festival de Cannes, et la petite fille des Camondo, famille de banquiers et de mécènes. Le 1er juillet 1891, les Roussel avaient été invités sur le yacht des Camondo. Irène, étant née en 1878, rencontra-t-elle Raymond ? Elle fut, également, l’auteur de quatre scénarii pour la réalisatrice Germaine Dulac, laquelle travailla aussi avec Antonin Artaud.

[4]. In sa fable Le serpent et la lime.

[5]. Le titre de son livre intitulé La  Doublure était, on peut le parier, destiné à être entendu comme « la double hure », l’association d’un vieux mâle ou solitaire et d’un jeune ou bête rousse, ainsi qu’on les désigne chez les sangliers. La forêt lexicographique des dictionnaires, notamment du Bescherelle, si apprécié de Roussel, se montre tellement luxuriante.

[6]. Les trois autres cerveaux, furent : Alfred Jarry, Maurice Leblanc, Gaston Leroux. La lecture de leurs œuvres respectives révèle la présence  d’expressions, de situations, de mots et d’objets identiques et contrebandiers qui sont autant de passerelles. Plus curieusement, on découvre d’étranges allusions chez l’Ouvreuse du Cirque d’été, Willy, le mari de Colette.

[7]. Quelque chose avait dû attirer l’attention de l’érudit Ferry car enfin, il est évident que ces trois lettres sont les initiales de Guy Lévis Mano (1904-1980), le fondateur de la revue ! Rappelons pour ceux qui l’ignoreraient que le mot Golem figure dans l’Ancien Testament et désigne une masse informe, inanimée. La tradition hébraïque en a tiré la légende de la créature, animée par des Rabbis, et préposée à la garde du Ghetto de Prague qui, devenue incontrôlable, menaçait de le dévaster. L’écrivain autrichien  Gustav Meyrink lui consacra un chef-d’œuvre au titre éponyme.

[8]. In Comment Lire Raymond Roussel (Jean-Jacques Pauvert, 1988)

[9].  A. Coia-Gatie, in La chevalerie errante (La Table d’émeraude, 1992)

[10].  Pour plus d’informations lire, de Richard Khaitzine, Dans le  secret des alcôves, des salons littéraires et des loges maçonniques. Le dossier Fulcanelli Tome 1 (à paraître chez Mediadit). 

[11]. Gérôme était le gendre d’Adolphe Goupil, l’éditeur d’art. Il avait eu pour élèves de nombreux peintres, devenus célèbres par la suite, dont Vincent van Gogh et son ami Toulouse-Lautrec.

[12]. En 1926, l’auteur anonyme avait fait publier un premier livre : Le Mystère des cathédrales, au sein duquel il s’efforça d’expliquer que le symbolisme hermétique s’était servi de l’architecture religieuse afin de véhiculer ses enseignements. Dans Les Demeures…, il fit la même démonstration à partir de l’architecture civile.

[13]. Sur la lignée des Médina-Coeli, issue d’Alphonse X de Castille, dit le Sage ou le Savant, et dont sortira le Comte de Saint-Germain, ainsi que l’atteste son blason, lire Le comte de Saint-Germain, hypothèses et affabulations, de Richard Khaitzine (éditions Mediadit).

[14]. Il s’agit du 22 de cette avenue, où Ferdinand de Lesseps avait fait construire un pavillon de style mauresque destiné à recevoir son ami Abd-el-Kader. Ce pavillon est celui qui servit de décor au roman précité de Madame Erlanger.

[15]. Hellé étant le nom de la déesse lune chez les grecs archaïques, ce nom se lit comme étant le « Vulcain lunatique ou lunaire », l’agent dont l’utilisation sépare l’alchimie de la banale chimie. Pour une compréhension complète de ce qu’est l’Alchimie, - une science rationnelle, dans ses buts, comme dans ses moyens - et de ce qu’elle n’est pas, lire de Richard Khaitzine, Comprendre l’Alchimie (éditions Mediadit).

[16]. Le haut de la figure.

[17]. Ce qui n’est pas sans entrer en résonance avec ce que « Fulcanelli » en écrit, lorsqu’il mentionne « l’ignorance diplômé » avant de conclure en disant : « laissons les ânes porter gravement leurs reliques ».

[18]. Cette crise d’amnésie aussi subite qu’opportune est douteuse. Il était doté d’une prodigieuse mémoire et pouvait réciter des passages entiers de ses premiers écrits.

[19]. Ceci, vous pouvez être sûrs que Perec l’avait parfaitement assimilé et compris. Son texte Allées et venues avenue de l’Assomption, dans lequel il inflige au lecteur une « punition » égale à celle inventée par Roussel, trouve l’une de ses clés dans les variations qui affectent la plaque professionnelle d’un Docteur Clin. Avouez que le clin d’œil est pour le moins appuyé. Voir, de Richard Khaitzine, à paraître cette année  La langue des oiseaux, tome 2 – Georges Perec mode d’emploi, à propos d’une Disparition.

[20]. L’immeuble en question, vous pouvez le chercher dans tout Paris, il n’existe pas. Il s’agit du Fantôme de l’œuvre… littéraire – le fantôme de l’opéra, ainsi que l’indique l’étymologie – ce fantôme, c’est l’Esprit, désigné sous le nom de mercure, dans les traités consacrés au grand Œuvre. Perec n’a jamais caché son goût pour les romans de Gaston Leroux. Ce « mercure », cet esprit, qui sort des lieux les plus hermétiques, et pénètre à sa guise les endroits les plus fortifiés, Arsène Lupin –sous la plume de Maurice Leblanc, et Larsan-Roussel- Balmayer, sous celle de Leroux, n’en sont que des avatars. On peut s’étonner que Leroux ait jugé bon de donner à Larsan le nom de Roussel. Non ?

 

 

Jornal InComunidade (Porto)

 

 

 

 

RICHARD KHAITZINE (FRANCE)
Écrivain, romancier, historien, critique d’art et scénariste français, né le 20 septembre 1947 à Paris et demeurant à Paris. Il est issu d’une famille de juifs russes émigrés d’Odessa en 1914. Au cours de sa carrière d’écrivain, il a publié une trentaine d’essais, dont plusieurs sont devenus des livres de référence, sur des sujets aussi divers que la littérature, la peinture, la Franc-maçonnerie, le symbolisme, les religions et l’hermétisme. Tous ces travaux font une large part à l’histoire de l’alchimie, aux arts et traditions populaires qui en sont les véhicules. Il est l’auteur, également, de deux romans.
Il a participé au colloque de Lisbonne en 1999 et à celui de Quinta da Regaleira en 2009. Richard Khaitzine se définit comme «un agitateur d’idées, un penseur libre, un résistant qui refuse le terrorisme intellectuel et la pensée stérilisée imposés par ceux qui séquestrent la culture dans des nécropoles dont ils se sont autoproclamés les gardiens. » Il est membre de la Société des gens de lettres depuis 1998. Quelques titres publiés : * La langue des Oiseaux (tome 1) Le second tome consacré à Georges Perec et à Raymond Roussel est en cours de publication. * De la Parole voilée à la Parole perdue
* Marie Madeleine et Jésus. * Quand la Terre gronde. * La Joconde, histoire, secrets et énigme. * Le Comte de Saint-Germain, hypothèse et affabulations.
* Peter Pan… pour une lecture intelligente des contes.
Sa biographie complète est visible sur Wikipédia
E-mail:
r.khaitzine1@aliceadsl.fr

 

 

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