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1908… la France entière se passionne
pour les aventures d’un héros dont les exploits sont publiés, sous forme
de feuilleton, au sein de la luxueuse revue de Pierre Lafitte : Je
sais tout. Ce héros, moitié milord, moitié arsouille,
qui cambriole les demeures bourgeoises, les cœurs féminins et même
l’Histoire de France s’appelle Arsène Lupin. L’auteur, Maurice
Leblanc, est né à Rouen, en 1864. Il a quitté sa ville natale, mène la
vie de bohème, fréquente le cabaret du Chat Noir en rêvant
d’écrire des romans psychologiques à la façon de Maupassant. Il ne le
sait pas encore, mais le destin en a décidé autrement. De 1905, à sa
mort, en 1941, semblable à un galérien attaché à son banc, va produire
des Lupin, devenir riche et passer à la postérité. En cette année 1908,
Lupin a dévalisé les musées nationaux et entreposé les trésors volés au
sein de la falaise d’Étretat. C’est du moins ce que peuvent lire les
lecteurs de Maurice Leblanc dans L’Aiguille creuse. Arsène Lupin
a même osé s’emparer du chef-d’œuvre de Leonard da Vinci : La Joconde. |
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La
disparition de Monna Lisa.
Parfois,
la réalité dépasse la fiction. Paris, le 23 août 1911… Un odieux
kidnapping fait la une des journaux. La victime ? La femme la plus
célèbre du monde : Monna Lisa…La Joconde ! La Presse s’en
donne à cœur joie. Il y a même des petits malins qui ironisent et
prétendent que c’est un coup d’ Arsène Lupin. Le 8 septembre la police
annonce l’arrestation d’un suspect, un « étranger » affublé d’un nom « à
coucher dehors » un certain Kostrowitzky. En réalité, il est plus connu
sous son nom de plume : Guillaume Apollinaire. Il n’est pas le seul à
être inquiété par la police et son ami Picasso est soupçonné également.
Ce quiproquo trouve son origine dans la générosité du poète. Il a pris à
son service Géry-Pieret, un aventurier sans travail. Or, ce dernier
avait pour habitude « d’aller faire ses courses » au Cabinets des
Antiques du Louvre, prélevant des statues et des masques phéniciens
qu’il offrait à ses amis Apolinaire, Picasso et Marie Laurencin,
lesquels en ignoraient, bien sûr, la provenance. Apolinaire et Picasso
sont relaxés après avoir éprouvé une belle frayeur. Quant à la Joconde,
elle sera retrouvée, en Italie, en 1913 et rendue au Louvre en 1914. Le
voleur s’avéra être Vincenzo Perugia, peintre en bâtiment. Il prétexta
avoir voulu rendre Monna Lisa à son pays, accusant la France de l’avoir
volée à son pays. Perugia fut condamné à un an et quinze jours
d’emprisonnement. Perugia mourut en 1947, dans un petit village de
Haute-Savoie. Durant trente-trois ans, il raconta son histoire à ses
voisins, en variant les détails, l’enjolivant . Il finit par croire à
l’une de ces versions. Il avait volé la Joconde parce qu’elle
ressemblait à une jeune fille qu’il avait beaucoup aimée et qui avait
péri dans un accident de montagne…
Le Sourire de la Joconde
Pour les
experts en peinture, La Joconde est le portrait de Lisa, l’épouse d’un
négociant en soie, Francesco del Giocondo, lequel en avait passé
commande à Leonardo da Vinci. Cette version pourrait bien s’avérer
inexacte. En effet, Leonardo, durant l’hiver de 1515-1517, décida de
rejoindre le roi de France, François Ier. Il s’installa à Cloux, à
proximité d’Amboise, lieu où il acheva sa vie. Leonardo emporta avec lui
l’ébauche de la Joconde. S’il s’était agi véritablement d’un portrait de
l’épouse du soyeux, il est probable que la toile avait été payée à la
commande, comme le voulait l’usage. Dans ce cas, peut-on admettre que le
peintre n’ait pas honoré son contrat ?
Curieusement, Maurice Leblanc évoqua la Joconde dans un autre de ses
romans : La Comtesse de Cagliostro (1924) , écrivant notamment :
« Quelque chose de la Joconde (…) Tant d’expérience dans le regard et
d’amertume dans son invariable sourire. » Cette singularité n’est pas la
seule que l’on puisse relever dans cet étrange roman. En effet, Maurice
Leblanc fit figurer dans son livre un personnage bien réel : Monseigneur
de Bonnechose, évêque de Carcassonne, puis archevêque de Rouen, ville
natale de l’auteur. Ce fut ce prélat qui baptisa, puis confirma le jeune
Maurice Leblanc. Or, Mgr de Bonnechose était natif du Pays de Sault.
Autrefois, était établi, sur la rive droite du Rebenty qui traverse
cette région, le monastère de Joucou, nom dont l’étymologie est Jocundo !
Mais il y a encore plus extraordinaire. Mgr de Bonnechose avait pour
bras droit l’abbé Félix, Arsène Billard. Autrefois, la mode voulait que
le prénom usuel soit placé en second. À sa mort, Arsène Billard fut
enseveli, en 1901, en la cathédrale de Carcassonne, site qui contient
les reliques d’un saint, douteux, du nom de Lupin. Ainsi, par le plus
grand des hasards, Arsène repose à côté de Lupin ! Pour la
petite histoire et pour les passionnés de faits étranges, il convient de
signaler que Mgr de Bonnechose, puis Mgr Billard, furent les supérieurs
hiérarchiques d’un abbé sulfureux, dont les frasques et les dépenses
pharaoniques firent couler beaucoup d’encre : Bérenger Saunière, curé de
Rennes-le-Château. Maurice Leblanc fait référence, entre les lignes, à
cette retentissante affaire. Il faut dire qu’il était bien placé pour en
connaître les dessous. Son beau-frère, René Renoult était, à l’époque,
Ministre de l’Intérieur et des Cultes.
Quant à la Joconde, son mystère demeure. Sans doute
s’agit-il d’une toile allégorique, ainsi que le laisse supposer son
prénom Lisa. Ce diminutif d’Élisabeth signifie textuellement : « Celle
qui tire sa clarté ou sa lumière du soleil », autrement dit… la Lune !
Leonardo da Vinci était coutumier de ce genre de calembours. En effet,
on lui doit, également, le très beau portrait de Ginevra da Benci,
lequel montre, en arrière plan, et en rappel de son prénom, un
genévrier…[1]
Richard Khaitzine |