JOSÉ AUGUSTO MOURÃO

Interculturalité et mondialisation

La textualité dans la pratique de l'hyperfiction (fim)

 

   
Twelve Blue
 

M. Joyce n'écrit pas de livres-grenades comme Ballard. Théoricien de l'hypertexte, il essaye de penser les contraintes imposées par ce nouveau media. A propos de son dernier web-fiction Twelve Blue , disponible chez Eastgate et en ligne par ailleurs (1996b), M. Joyce écrit: «Le Réseau est un espace assez difficile pour créer une surface expressive pour le texte ». Pour lui, le réseau est entièrement constitué par des limites, sans beaucoup de profondeur, ce qui, pour l'écrivain, devient problématique. “On veut introduire de la profondeur afin que la surface ouvre un chemin pour la fantaisie et pour la sensation d'une forme d'expérience partagée de lecture et d'écriture. Au lieu de cela, tout se transforme en des ramifications » (1). Twelve Blue explore la façon dont nos vies sont à l'instar du Web où un an, un jour, un souvenir, une rivière forment des "modèles" de surfaces enchaînées, multiples et récurrentes. M. Joyce dit notamment qu'il essaya d'utiliser des "frames" ("blocs" en langage électronique) et des hyper-liaisons pour obtenir une sensation de profondeur et des interactions des web-fictions. L'idée était d'introduire les "liens" à l'intérieur du texte et en dehors de l'interface, de façon à ce que la fiction fasse écho aux possibilités et transforme le rythme du réseau, au jour-le jour, page à page, ou une nouvelle musique d'eaux turbulentes, ou des nuances de bleu. Sur l'écran, on voit des fils d'un type d'écriture assez proche de John Cage, une continuité de plusieurs narratives parallèles. Quand les fils se touchent, les narratives font de même. Les douze lignes deviennent des mois, mais aussi des personnages, ou des paires de personnages. Les douze fils commencent non par Janvier mais par Novembre, l'an où M. Joyce est né. L'ombre de William Burroughs est toujours là, Joyce fait huit différents coups sur l'axe Y, tout comme les coups compositionnels de Burroughs. C'est à l'intérieur de ces huit bandes longitudinales que les diverses histoires se déroulent et s'entremêlent.

 
Coda
 

L'hypertexte est en train de d é placer, sinon d' é mietter les fronti è res d'un genre. On sait comment la réflexion sur les genres reste tributaire de l'ontologie romantique qui concevait deux formes de la totalité: la monade de l'œuvre, dont dérive la notion moderne de Texte comme structure close, et l'hénade de l'Intertexte qui vaut pour la totalité de la Littérature (2). Le genre est une notion impure, historique et n'appartient à aucun des niveaux ontologiques, car il n'est ni singulier comme l'Oeuvre, ni universel comme l'Intertexte. Le rapport entre cultures (l'interculturalité) ne correspond pas au modèle de l'intertextualité (Kristeva, Genette), arborescent, mais plutôt au modèle rhizomatique que le Réseau et l'hypertexte ont inauguré.

Dans un essai de 1998, Kate Hayles caractèrise «the hybridity of media forms» in which we are «caught between the rippling after-shocks of print culture and the expanding implications of the digital domain. ” L'essentiel pour nous, et dans le contexte de cette communication, peut se r é sumer dans ce que M. Joyce é crit: «The new electronic literature will show the time in between, which is nothing less than the space that links us through our differences” (3). La littérature électronique pourra-t-elle suppléer le manque de cet «entre-nous» selon le vœu de M.Joyce? La nouvelle littérature électronique peut-elle devenir ce «moyen temps» des liaisons et de la multiplicité des voix?

 
Notes

(1) Michael Joyce, op. cit., p. 187.

(2) François Rastier, Arts et sciences du texte , Paris, PUF, 2001, p. 263.

(3) Micheal Joyce, op. cit., p. 187.