PEDRO
Je t'embrasse, Brito, pour avoir, cette fois,
Si bien parlé du son musical de sa voix.
Mais tout chez elle, tout, créature bénie,
La démarche, les yeux, Ia voix, n'est qu'harmonie,
Et son silence même est parfois si touchant,
Qu'il a Ia résonnance et le rythme d'un chant.
Mais reprends ton récit, que j'empêche de faire,
Et, si je t'interromps encore, fais-moi taire.
BRITO
J'arrive de Coïmbre, et dans ce líeu béni
J'ai trouvé votre oiselle et Ia couvée au nid;
Et tout ce petit monde, à l'envi, rit, gazouille
Ainsi que des moineaux au bord d'une gargouille.
La mère était assise, au jardin, sous les fleurs,
Elle pensait à vous, car j'ai senti des pleurs
Qui se dissimulaient derrière son sourire,
Comme on voit au soleil des gouttelettes luire
Et, sous les bois mouillés, allumer le gazon
Des feux de l'arc-en-ciel qui brille à l'horizon.
Ses quatre enfants étaient suspendus après elle,
Jeunes fruits, reformant Ia grappe maternelle;
Elle leur souriait, vous retrouvant en eux,
Telle une Niobé, dont les jours sont lieureux.
PEDRO
Niobé!... Niobé!... Quel nom et quel présage!...
BRITO
Eh! quoi, Seigneur, vous vous troublez pour une image?
PEDRO
Elle exprime si bien mes craintes, qu'on dirait
Que Dieu m'envoie un avertissement secret.
Jaloux de ces yeux clairs, de ces bouches si fraîches,
Le Malheur tend son arc et prépare ses flèches.
Et je vois, chère Inès, sous tes yeux impuissants,
Expirer, à Ia fois, tous tes fils innocents.
La Mort enfonce sa cognée auprès de l'arbre,
Et de ce groupe heureux fait un groupe de marbre!
BRITO
Vos enfants menacés!... Et quel est ce danger
Dont le prince héritier ne peut les protéger ?
PEDRO
Eh! quoi, ne vois-tu pas tout ce que l'on prepare?
N'a-t-on pas fait venir l'infante de Navarre
Qu'on m'a fait épouser par procuration?...
On traite mon coeur comme un bien de nation,
On dispose de moi comme d'une province.
Ah! c'est un beau destin, Brito, que d'être prince!
Pourtant, avec Inès, on me sait marié,
On sait que mes desseins n'ont jamais varié
Et que jusqu'au tombeau je lui serai fidèle.
N'importe! le poignard les délivrera d'elle!...
L'infante foulera de ses pieds triomphants
Le sol humide encor du sang de mes enfants!...
BRITO
Votre père, un bourreau! l'infante, une mégère!...
Non! non. Visiblement votre Altesse exagère.
PEDRO
Si j'exagère, toi, du moins, tu ne vois rien.
Mon père n'ira pas, Brito, je le sais bien,
Egorger mes enfants sur le sein de leur mère.
Mais Gonzalès pourra se charger de le faire. |