C'est un problème bien connu des interprètes et des musicologues: les tempi recommandés par Beethoven lui-même pour nombre de ses oeuvres sont -- par leur rapidité -- à la limite de l'exécutable. Les attitudes adoptées par le compositeur relativement à l'utilisation du métronome ne sont d'ailleurs pas exemptes d'une certaine contradiction; une grande partie de ses oeuvres étaient déjà écrites lorsque Johann Nepomuk Maelzel, plagiant l'invention de Diederich Nicolaus Winkel (Allemand établi à Amsterdam), met sur le marché le premier système de métronome fonctionnant de manière satisfaisante. Au début de 1817, le même Maelzel envoie à 200 compositeurs un exemplaire de sa machine. Peu satisfait des procédures usuelles jusque-là en matière de notation du tempo, Beethoven s'empare aussitôt du nouvel appareil; et dans l'Allgemeine Musikalische Zeitung de Leipzig du 17 décembre 1817, il publie une table de métronomisation donnant des tempi pour l'ensemble de ses symphonies déjà composées à cette date (c'est-à-dire jusqu'à la huitième incluse). Plus tard, dans d'autres articles, dans des lettres plus ou moins publiques ou dans ses cahiers de conversation, il abordera sous ce point de vue d'autres oeuvres, telles que le Septuor op. 20, les quatuors, la sonate dite «Hammerklavier» ou encore la 9ème symphonie.
L'enthousiasme de Beethoven pour le nouvel instrument trouve écho dans plusieurs de ses lettres, en particulier celle écrite en novembre 1817 à Ignaz Franz von Mosel, propagateur des idées de Maelzel:
«Je me réjouis cordialement du fait que vous partagiez ma façon de voir les choses, relativement aux indications de tempo, qui proviennent encore de [l'âge] de la barbarie musicale; car, pour ne citer qu'un exemple, qu'y a-t-il de plus absurde que [le terme] Allegro, qui signifie une fois pour toutes joyeux, alors que nous sommes souvent si éloignés du sens de cette indication, de telle sorte que le morceau lui-même dit le contraire de l'indication. -- Pour ce qui concerne ces quatre mouvements principaux, qui sont loin d'avoir la véracité et la justesse des quatre vents principaux, nous n'y tenons pas [?]. [...] -- quant à moi, j'ai imaginé depuis longtemps renoncer à ces appellations absurdes Allegro, Andante, Adagio, Presto; le métronome de Maelzel nous en donne la meilleure occasion [...]» (note 2)
Mais d'autres déclarations faites par le même Beethoven (ou attribuées à lui, notamment par son assistant Anton Schindler) montrent au contraire une certaine réserve par rapport au métronome. Ainsi, l'autographe du Lied «So oder so» (WoO 148, début 1817) aurait comporté l'indication suivante:
«100 d'après Maelzel, mais cela ne peut être valable que pour les premières mesures, car le sentiment a aussi sa mesure, mais cela ne peut s'exprimer tout à fait selon ce degré (à savoir 100).» (note 3)
Il y a plus: selon Schindler, Beethoven aurait renoncé plus tardivement à l'usage du métronome, ayant constaté des divergences numériques importantes entre différents modèles. Il serait alors allé jusqu'à contester dans son fondement même la légitimité de l'approche métronomique:
«(...) Pas de métronome! Celui qui a un sentiment juste n'en a pas besoin. Quant à celui qui en est dépourvu, le métronome ne lui sera d'aucune utilité, il s'en écartera [?] avec tout l'orchestre. (...)» (note 4)
On pourrait s'interroger ici sur la crédibilité des dires de Schindler; mais d'autre part, c'est un fait avéré que Beethoven s'est plaint plus d'une fois des dysfonctionnements de son métronome, qu'il doit même envoyer à deux reprises au moins chez le réparateur. (note 5)
Comme on le voit, la question n'a rien de simple. Il reste que les tempi indiqués par Beethoven posent très souvent problème. De nombreuses hypothèses ont été envisagées pour tenter d'en rendre compte. L'usure mécanique ou un mauvais entretien de son métronome ont notamment été évoqués; d'autres commentateurs ont tenté de démontrer l'aspect «abstrait» de ces métronomisations, conçues à une époque où la surdité de Beethoven est pratiquement totale. Une troisième explication est encore plus radicale, en ce qu'elle suppose que les tempi indiqués par Beethoven sont tout simplement deux fois trop élevés si on les comprend d'une manière strictement littérale: selon cette hypothèse, ce n'est pas sur un battement simple, mais bien sur un aller-retour du balancier du métronome que Beethoven aurait fondé ses indications métronomiques.
C'est cette idée, énoncée par Willem Retze Talsma (note 6), qui a inspiré les travaux d'un jeune musicologue et chef d'orchestre brésilien établi en France, Maximianno Cobra. Ce dernier est l'auteur d'une thèse sur les symphonies de Beethoven soutenue en 1999 à l'Université de Paris-Sorbonne (note 7), et surtout l'initiateur d'un vaste projet de mise en pratique des conclusions de cette recherche. A ce jour, une quinzaine de disques compacts ont été publiés par le label Hodie créé par Maximianno Cobra, proposant des versions «lentes» d'oeuvres majeures de Beethoven (9ème symphonie, Lieder), mais aussi de Mozart (Requiem, ouvertures, symphonies N° 25 et 40). A la tête d'un orchestre formé de musiciens hongrois pour la plupart, le chef franco-brésilien ne s'est pas contenté de proposer un enregistrement conventionnel de ces oeuvres, mais a fait appel aux technologies les plus modernes du disque numérique compatible, à la fois vidéo et audio («DVD audio»). Le catalogue complet de cette collection est disponible sur internet (www.hodie-world.com). |